Photo : Alain Pistoresi

Le choix de la Corse pour pousser plus loin le bouchon de la dégustation

(CorseMatin paru le mardi 5 janvier 2010)

Photo : Alain Pistoresi

De l’atypique Nicolas Stromboni, le président de l’association des sommeliers de Corse, à l’étonnant Serge Dubs dont les titres prestigieux – président de la sommellerie française, meilleur sommelier de France en 1983, d’Europe en 1988 et du monde en 1989, entre autres – feraient péter le bouchon d’un magnum aussi costaud soit-il, il y a une route. Pas nécessairement géographique même si le premier est originaire d’Alsace et le second du Sartenais. Plutôt une route des sens, autour du même culot. Consistant à dire les choses, mais à température ambiante. Et à inverser le regard que l’on porte sur le vin, en partant de la base quand d’autres lui préfèrent la hauteur.

Déverrouiller les codes

La hauteur, pourtant, c’est par là que l’association des sommeliers insulaires a souhaité commencer, samedi dernier, à Ucciani, première étape d’un parcours concocté à l’occasion de la venue à Ajaccio d’une trentaine de maîtres sommeliers français. Conseil d’administration national à la clé, et pour la première fois en Corse. Trois jours pour déverrouiller les codes de la sommellerie sur le tracé d’un chemin ésotérique entre neige et montagne. L’objectif ? Faire prendre de la bouteille aux délégations présentes. Opposer les vraies idées reçues aux faux avis préconçus. Pour un palais neuf.

« Sortir le vin de son environnement aboutit à une perte d’identité, parce qu’autour du produit on trouve un terroir, un sous-sol, une nature, une culture, une gastronomie, s’exclame Nicolas Stromboni. C’est en ce sens que le vin répond aux hommes qui le font. En Corse, nous avons des vins d’identité qui demandent des ambassadeurs à la rencontre desquels nous sommes allés… ». Histoire de sublimer le goût. Avec une redéfinition du bon grain et de l’ivraie. Le bon grain, les sommeliers, l’ivraie, la découverte d’un environnement. Vaste, diversifié, rugueux. À Ucciani, dans le froid neigeux, au coeur de l’exploitation porcine d’Antoine Poggioli pour toucher des lèvres l’île montagne et minérale ; chez Paul Cau, à Ocana, où l’étendue du patrimoine olfactif insulaire en a bouché un coin à nombre de connaisseurs ; au Licettu à Cuttoli pour une présentation des vieux cépages à côté des cépages endémiques ; chez Mathieu Bernardi pour une autre approche du brocciu, tout en texture… Jusqu’à la dégustation des huit AOC corses dimanche soir. Tenue de soirée pour trente sommeliers continentaux, accompagnés d’une dizaine de leurs confrères corses ainsi qu’une quinzaine de vignerons de l’île. Nicolas Stromboni a eu du nez. En imposant avec modération un inhabituel déchiffrage des sens et des saveurs, de la bouche à l’oreille, il a créé les conditions d’une autre approche…

Baleone. Dans l’immense salle du Hussard, entre ombres et lumières, Serge Dubs déguste à petites goulées. « L’art du sommelier, c’est amener le vin au bon moment sur le juste plat et la juste personne. À cet égard, nous sommes surtout des marchands de bonheur. La sommellerie est une école de vie et de modestie ».

« Comme au foot… »

Dubs, c’est celui qui sait reconnaître d’instinct les envies de ses hôtes. « Le plus petit vin du monde peut être servi du moment qu’il a des racines. Une lumière peut devenir bûcher. Les vins corses figurent sur les cartes des restaurants en France, mais pas encore suffisamment. L’île doit continuer à faire ses preuves même si de gros efforts ont été accomplis. Aujourd’hui les viticulteurs insulaires savent parler de leur production et défendent leur produit avec un comité interprofessionnel qui joue son rôle. J’adore le rapport qualité/prix des vins corses. Mais il y a encore du travail pour ouvrir sur le très grand public. C’est un peu comme au foot, on est obligé de passer par différents niveaux. La qualité première de l’île pour ses vins réside dans une volonté de revendiquer son enracinement sans se couper du reste du monde ». Si Serge Dubs a appris à mettre de l’eau dans son vin ? « Bien sûr ! Cela ne signifie pas être faible, mais bien plutôt comprendre l’autre… ».

A.-c. Chabanon

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