Nicolas Stromboni, sommelier alchimiste à la découverte de nouveaux mondes

(CorseMatin, paru le dimanche 22 novembre 2009)

Photo : Pierre-Antoine Fournil
Promouvoir les vins, mettre en bouteille les bonnes idées pas encore reçues, créer du lien, un dialogue, ouvrir les portes d'un monde, une alchimie que Nicolas Stromboni réussit à merveille.

Pas de coteaux, de domaines, de propriétés, de vignobles, de châteaux, derrière lui. Pas plus que de châteaux en Espagne d’ailleurs… Ce n’est pas le style du bonhomme. Chez les Stromboni, on va droit au cépage, mais sans en faire tout un jargon. Pour garder ses facultés d’émerveillement. C’est à ce prix que le président des sommeliers de Corse a pu cultiver simultanément le vin et les amis. Pour lui, ce n’est tant le premier qui se mérite, mais les seconds – à la mode Brassens – réunis autour du bouchon qui délivre le nectar. Son espace-temps tisse une matière. Qu’elle soit entrée en matière ou qu’elle soit matière à quelque chose. Rencontre avec un grave qui pétille et dénote pour mieux chambrer son libre arbitre à température ambiante.

Toucher, bon sens et philo

« Je suis resté à la campagne à Sartène jusqu’à l’âge de 18 ans, coupé du monde. Paradoxalement, cette césure m’a ouvert le chemin. On avait une petite vigne. Mon père était instituteur et agriculteur. De lui, j’ai appris le toucher et le bon sens. Le socle. J’ai pris son goût pour la philosophie. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce n’est pas tant de vendre du vin, mais la manière dont on matérialise un environnement, par essence, immatériel, fait d’air, de minéraux, de soleil et du travail de l’homme. La clé résidant dans une sorte d’alambic au sens d’alchimie… ». L’alchimie, Nicolas Stromboni la distille depuis toujours. Bac à 17 ans, embauché à 19 dans une boîte de distribution de vins. De l’expérience – qui dure cinq ans – il retire un précieux sésame, « l’opportunité de boire des grands vins alors que j’étais encore jeune ». Opportunité sur laquelle se greffe une acuité presque sensitive pour le commerce. « Quand j’ai émis l’idée d’être cuisinier, mon père m’a rétorqué : fais la cuisine pour tes amis et trouve un vrai métier ».

Vivre le vin avant tout

Le métier, Nicolas Stromboni le trouve. Et le décante aujourd’hui à Ajaccio en trois crus : une SARL Divino créée en 2000 – d’abord à Sartène – une agence commerciale qui propose du vin corse et continental aux professionnels de l’île, servant la quasi totalité de la restauration insulaire ; une cave – née en 2007 – vitrine des vins corses et continentaux, là encore, mais cette fois pour les particuliers ; et Vinsde20, une société d’export de vins corses – 15 vignerons au tarif propriété – en direction des professionnels du Continent, de l’Europe et pour une part de New York. La seule plateforme de distribution du genre en Corse. « Ma chance ? D’être arrivé sur le marché en 2000. À cette époque, le vin était en pleine expansion et un vigneron corse – Yves Canarelli – m’a aidé avec quelques vignerons du Continent. Sans oublier Jean-Marc Venturi qui m’a mis le pied à l’étrier sur un seuil plus important. J’emmenais les professionnels chez le client, je leur donnais à comprendre, à dialoguer ». Il est peu de certitudes dans l’existence. Mais Nicolas Stromboni en acquiert très vite une : il faut vivre le vin avant de le vendre. Il passe son temps dans les vignes et vignobles. Fait ses sentiers comme d’autres leurs classes. Essuie ses doutes au revers des ceps. S’intercale entre les racines et le produit fini. S’implante. Il est actuellement président des sommeliers corses depuis 2008 pour un mandat de deux ans. Avec un programme à mettre en oeuvre. « Étudier nos cépages, dans le même millésime mais aussi sur plusieurs, déguster tout en s’intéressant à notre matière, ne pas avoir peur de valoriser notre savoir… »

Connaître le solfège

Chez lui, tout est vecteur, lien avec le vin, interconnexion permanente entre le goût, la physique, la chimie, l’histoire, les gens au sens le plus gouleyant. Ne pas chercher derrière la rondeur communicative du personnage, une quelconque naïveté. Il n’y en a pas chez ce sommelier-alchimiste qui sait aussi analyser clairement après dégustation. Et se méfie. De ceux qui martèlent « Moi, le vin, je le connais », des férus de champ lexical pompeux : « Imaginez que le médecin dise à un patient qu’il a les lymphes fatiguées… Le vin, il faut seulement en connaître le solfège, avoir une psychologie du grain ». Nicolas Stromboni donne des cours d’oenologie à la boutique de Mezzavia, continue à courir les vignes. Rencontre des grands nez, des grands crus, des sociologues. Parce que le vin mène à tout, dit-il. À soi d’abord, en réinventant le « connais-toi toi-même » d’un autre grand. Socrate, vigneron des pensées sine die…

A.-c. Chabanon